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L’objet de ce chapitre est de faire une première introduction à un exemple intéressant de processus stochastique, soit la marche aléatoire simple symétrique, et ce avec un minimum de formalisme.
Dans la partie Section 1, on définit la marche aléatoire simple symétrique, et on étudie l’allure de ses trajectoires. La partie Section 2 est dédiée à son comportement en temps long. La partie Section 3 présente une première application vers les mathématiques financières avec l’étude d’un problème de ruine.
Trajectoires de la marche aléatoire
Un processus stochastique est une suite de variables aléatoires indexée par le temps. Il permet de modéliser l’évolution temporelle d’un phénomène comme la richesse d’une joueuse ou la valeur d’un portefeuille d’actions par exemple. La marche aléatoire simple symétrique est le modèle le plus simple de processus à temps discret.
Dans toute la suite, on se place sur un espace probabilisé .
Définition
Commençons par définir la marche aléatoire simple symétrique.
Définition 1 Une marche aléatoire simple symétrique sur est une suite de variables aléatoires telles que
- est déterministe,
- pour tout ,
où est une suite de variables aléatoires indépendantes et de même loi de Rademacher de paramètre :
On parle de marche car ce processus peut représenter la position d’une personne qui se déplace en ligne droite par pas d’une unité avec équiprobabilité d’aller vers l’avant () ou vers l’arrière (). Cette marche est dite simple car on ne fait que des pas d’amplitude et symétrique car il y a la même probabilité de tirer et pour chaque incrément.
Ce processus peut également servir à modéliser la richesse d’une joueuse qui joue à pile ou face avec une pièce équilibrée. Partant d’une richesse initiale , à chaque pas de temps elle perd ou gagne en fonction du tirage obtenu. Les variables représentent alors le gain du -ème jeu, et la richesse totale de la joueuse après le -ème tirage.
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À partir de la définition, on obtient très facilement le comportement moyen de la marche.
Proposition 1 Pour tout , on a
Preuve. Remarquons d’abord que les incréments sont donc centrés et réduits. Par linéarité de l’espérance, on obtient puisque est déterministe. Enfin, en utilisant l’indépendance des , on obtient d’où le résultat.
Ainsi, en moyenne la marche reste constante, mais sa variance devient de plus en plus grande au cours du temps.
Représentation graphique
Les marches aléatoires, comme tous les processus à valeurs discrètes, ont une représentation graphique naturelle. On représente graphiquement un tirage de la marche sur l’intervalle de temps par une ligne brisée joignant les points , , ,. On a donc en abscisse le temps, et en ordonnée la valeur de la marche, cf. Figure 1.
La marche aléatoire est un processus à temps discret, donc rigoureusement sa représentation graphique devrait être constituée des points non reliés. Par exemple, n’est pas défini. Cependant, on relie les points pour une meilleure lecture des graphiques.
On s’intéresse maintenant aux représentations graphiques qui peuvent correspondre à des tirages de la marche aléatoire.
Définition 2 Soit deux entiers naturels et deux entiers relatifs. On appelle chemin de à la représentation graphique d’un tirage de la marche aléatoire telle que et .
On peut maintenant se poser la question de savoir s’il existe toujours un chemin qui relie deux points quelconques, et s’il en existe, combien on peut construire de chemins différents reliant ces deux points. On peut facilement montrer que certains chemins sont impossibles en regardant la parité de la marche aléatoire et son amplitude maximale.
Proposition 2 (Parité) Pour tout , a la même parité que et a la parité opposée à celle de .
Preuve. Pour tout , prend les valeurs ou donc est impair. Comme , la marche change de parité à chaque pas de temps.
On en déduit immédiatement que les chemins doivent respecter cette alternance de parité.
Corollaire 1 Si et n’ont pas la même parité, alors il n’existe pas de chemin de à .
Preuve. Supposons sans perte de généralité que est pair, et qu’il existe un chemin de à . Alors et ont nécessairement la même parité, donc est pair.
Exemple 1 Il n’existe pas de chemin de à .
Proposition 3 (Amplitude) Pour tout , on a .
Preuve. Pour tout , prend les valeurs ou donc en particulier Comme , en sommant les inégalités on obtient bien d’où le résultat.
Corollaire 2 Si , alors il n’existe pas de chemin de à .
Preuve. Supposons qu’il existe un chemin de à . Alors et . En particulier, , d’où On a donc nécessairement .
Exemple 2 Il n’existe pas de chemin de à .
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Une fois les conditions de parité et d’amplitude satisfaites, il existe toujours des chemins reliant deux points, et on peut les dénombrer explicitement.
Proposition 4 (Nombre de chemins) Si et et ont la même parité, alors le nombre de chemins de à est le nombre de combinaisons .
Preuve. Un chemin de à correspond à pas de la marche aléatoire en partant de et en arrivant en . Supposons sans perte de généralité que . Alors on peut décomposer les pas de la marche entre pas vers le haut (tirages de ) et pas vers le bas (tirages de ). On doit avoir un nombre total de pas de , et une différence des ordonnées de , ce qui donne le système
Pour dénombrer le nombre total de chemins de longueur avec montées et descentes, il suffit de choisir les emplacements de montées parmi les pas. On obtient donc chemins.
Remarquons que pour dénombrer le nombre de chemins d’un point à un autre, nous n’avons pas utilisé le fait que , mais uniquement le fait que ne peut prendre que les valeurs et . Le résultat ci-dessus est donc également valable pour les marches asymétriques où .
Principe de réflexion
On souhaite maintenant dénombrer les chemins qui ont une propriété particulière supplémentaire, comme passer par un point fixé. Pour cela, on utilise les propriétés de symétrie de la marche.
Proposition 5 (Principe de réflexion) Soit et deux entiers naturels non nuls et deux entiers naturels tels que , et et ont la même parité. Alors le nombre de chemins de à passant par (i.e. touchant l’axe des abscisses) est égal au nombre de chemins de à .
Preuve. Le principe est de construire une bijection entre les deux ensembles de chemins pour prouver qu’ils ont le même cardinal. Pour cela, on exploite la symétrie de la marche, comme illustré figure Figure 4.
Considérons un chemin de à passant par pour la première fois en . On a alors . On construit un chemin de à en gardant la première partie du chemin initial de à , puis en prenant ensuite le symétrique du chemin initial par rapport à l’axe des abscisses de à : Cette application définit une bijection entre les deux ensembles de chemins. En effet, si on prend maintenant un chemin de à , comme il fait des pas de , que et , ce chemin passe nécessairement par . Soit le premier instant où le chemin est en . On construit alors un chemin de à passant par en posant Il y a donc le même nombre de chemins des deux types.
A nouveau, nous n’avons pas utilisé le fait que , mais uniquement le fait que ne peut prendre que les valeurs et qui sont symétriques l’une de l’autre. Le résultat ci-dessus est donc également valable pour les marches asymétriques où . Une première application de cette propriété est le résultat suivant connu sous le nom de théorème du scrutin.
Théorème 1 (du scrutin) Au cours d’une élection opposant deux candidates et , la candidate (resp. ) a obtenu (resp. ) voix, avec . Alors la probabilité que ait été majoritaire (au sens large) tout au long du dépouillement est
Preuve. Tous les dépouillement étant équiprobables, s’obtient comme le rapport du nombre de dépouillements avec en tête tout le long par le nombre total de dépouillements. On peut modéliser un dépouillement par une marche aléatoire (pas nécessairement symétrique) où est le nombre de voix d’avance de sur après le dépouillement du -ème bulletin.
Il y a en tout bulletins et à la fin voix d’avance de sur , donc le nombre total de dépouillements est le nombre de chemins de à et vaut .
Le nombre de dépouillements avec en tête tout le long correspond
- au nombre de chemins de à ne prenant aucune valeur strictement négative, autrement dit le nombre de chemins de à ne touchant pas ;
- au nombre de chemins de à ne touchant pas , en décalant d’un cran les ordonnées;
- au nombre total de chemins de à moins le nombre de chemins de à touchant ;
- au nombre total de chemins de à moins le nombre de chemins de à par le principe de réflexion.
Il vaut donc . Ainsi
d’où le résultat.
Comportement asymptotique
On s’intéresse maintenant au comportement de la marche sans limite de temps. Parmi les questions d’intérêt, on peut se demander si elle revient à son point de départ , combien de fois et en combien de temps.
Comme les sont indépendantes et de même loi intégrable, on peut appliquer la loi des grands nombres pour obtenir que ce qui ne donne aucune information sur le comportement en temps long de .
Propriété de Markov et stationnarité
Les deux propriétés suivantes sont des propriétés du processus et non plus seulement des trajectoires. Elles énoncent une certaine forme d’invariance de la marche au cours du temps. La première est une propriété d’absence de mémoire : la position future de la marche ne dépend que de sa position actuelle et pas de la trajectoire qui l’a amenée à cette position.
Proposition 6 (Markov) Pour tout et pour tous , on a
Preuve. Par définition des probabilités conditionnelles, on a
puisque . Remarquons maintenant que est indépendante de , donc de . On obtient alors
Par ailleurs, par un raisonnement analogue on a
d’où le résultat.
Proposition 7 Pour tout entiers positifs est indépendant de .
Preuve. Comme les sont indépendantes, on a directement que qui est indépendant de .
On a un résultat analogue à la propriété de Markov lorsqu’on regarde deux pas de temps plus éloignés.
Corollaire 3 Pour tout entiers positifs et pour tous , on a
Preuve. Par un raisonnement analogue à la preuve de la propriété de Markov, on obtient
en utilisant la propriété des accroissement indépendants.
La seconde propriété dite de stationnarité signifie qu’on peut changer l’origine du repère sans influence sur le comportement futur de la marche.
Proposition 8 (Stationnarité) Pour tout entiers positifs et , on a
Preuve. En utilisant l’indépendance des accroissements, on obtient
car les sont indépendantes et de même loi.
Premier retour en
On suppose maintenant que la marche part de : et on cherche à savoir si la marche reviendra en presque sûrement. Commençons par remarquer que si alors est nécessairement pair.
Proposition 9 Pour tout , on a
Preuve. Cette probabilité correspond au nombre de chemins de à divisé par le nombre total de chemins de longueur , puisque tous les chemins sont équiprobables. On a donc directement .
On s’intéresse maintenant au premier instant de retour en . On le note . Il s’agit donc de la variable aléatoire avec la convention que . C’est donc une variable aléatoire discrète à valeurs dans . On peut calculer explicitement la loi de .
Proposition 10 Pour tout , on a
Preuve. L’événement correspond à puisqu’alors est le premier temps où la marche retourne en . En particulier, entre l’instant et l’instant la marche ne change pas de signe, et garde le signe de . Ainsi, on a Par symétrie, ces deux probabilités sont égales. De plus, si et alors nécessairement on a . Ainsi il vient en utilisant la propriété de Markov, la propriété de stationnarité puis le fait que Cette dernière probabilité correspond au nombre de chemins de à ne touchant pas divisée par le nombre total de chemins de longueur . En utilisant le principe de réflexion, on obtient d’où le résultat.
Nous pouvons maintenant énoncer le résultat principal de cette partie.
Théorème 2 La marche aléatoire partant de revient en en temps fini avec probabilité ,
Preuve. On a , il s’agit donc d’identifier la somme de cette série. Pour cela, on exprime différemment le probabilité de l’événement , en repartant de l’expression du nombre de chemins de à ne touchant pas divisée par le nombre total de chemins de longueur . Ce nombre de chemins est égal à la différence entre le nombre de chemins de à et le nombre de chemins de à d’après le principe de réflexion. On obtient ainsi :
par la propriété de stationnarité et puisque . Par ailleurs, on a
par symétrie. Il vient
où on a utilisé le fait que
Donc on a .
Revenons maintenant à . On obtient
Ainsi, la probabilité de l’événement peut s’écrire à l’aide d’une somme télescopique :
En utilisant la formule de Stirling1, on obtient l’équivalence
1 quand
donc on a bien .
Premier passage en
On peut obtenir par une méthode similaire la loi du temps d’atteinte de n’importe quel autre point. Soit . Le temps d’atteinte de est la variable aléatoire
Théorème 3 La marche aléatoire partant de atteint tout état en temps fini avec probabilité . Plus précisément, si , on a si et n’ont pas la même parité ou si , et sinon
Preuve. On suit les mêmes étapes que ce qu’on a fait pour . Les contraintes de parité et de longueur de chemin ont déjà été vues. Si et ont la même parité et que , alors l’événement correspond à puisqu’alors est le premier temps où la marche atteint . Supposons sans perte de généralité que . Donc la probabilité est égale au nombre de chemins de à ne touchant pas avant divisée par le nombre total de chemins de longueur . 0r, ce nombre de chemin est égal
- au nombre de chemins de à ne touchant pas
- au nombre de chemins de à - le nombre de chemins de à touchant
- au nombre de chemins de à - le nombre de chemins de à touchant
- au nombre de chemins de à - le nombre de chemins de à
- au nombre de chemins de à - le nombre de chemins de à
Ainsi, on a d’où le résultat.
Nous démontrerons dans la partie suivante que .
En particulier, la marche partant de va atteindre tout point de avec probabilité , donc elle est presque sûrement non bornée.
La ruine de la joueuse
On s’intéresse maintenant à un problème de ruine. Une joueuse dispose d’un capital initial . Elle joue à pile ou face avec une pièce équilibrée, et gagne si elle obtient pile, perd si elle obtient face. La joueuse s’est fixé un objectif de gain et un plancher de perte . Elle joue jusqu’à ce que sa richesse atteigne ou .
On modélise la fortune de la joueuse par une marche aléatoire , avec et , où représente le gain du -ème tirage.
On sait qu’atteindre ou partant de est équivalent à atteindre ou partant de . Le jeu s’arrête donc presque sûrement au bout d’un temps fini.
On note la probabilité de ruine partant d’un capital initial , et l’événement être ruinée en partant de , c’est-à-dire On peut remarquer directement que et puisque dans ces deux situations, le jeu ne démarre pas, la ruine est impossible dans le premier cas, et certaine dans le second.
Nous allons obtenir une formule de récurrence sur les . Si , on a par la formule des probabilités totales
en utilisant la stationnarité. On obtient ainsi que est une suite récurrente linéaire^[Une suite est dite récurrente linéaire d’ordre s’il existe tel que, pour entier , on a
Le polynôme est appelé le polynôme caractéristique de la suite. Si le polynôme caractéristique admet deux racines simples et , alors il existe deux réels et tels que pour tout entier , Si le polynôme caractéristique admet une racine double , alors il existe deux réels et tels que pour tout entier , ] d’ordre , de polynôme caractéristique . Ainsi . On identifie et avec les conditions extrémales et
Ainsi la probabilité de ruine partant de vaut
Un calcul analogue en cherchant la probabilité de faire fortune partant d’une richesse conduit à , autrement dit il n’y a pas d’autre issue possible : le jeu va s’arrêter avec probabilité . Si on fait tendre vers , on trouve que . Donc partant de n’importe quel point, la marche atteindra n’importe quel autre point avec probabilité .
On peut montrer avec un raisonnement analogue que la durée du jeu partant de est solution de l’équation récurrente linéaire avec second membre2 avec .
2 Une suite est dite récurrente linéaire d’ordre avec second membre s’il existe et une fonction à valeurs dans tels que, pour entier , on a L’équation s’appelle alors l’équation homogène associée. Les solutions de l’équation avec second membre sont la somme de la solution générique de l’équation homogène et d’une solution particulière de l’équation avec second membre.
En effet, il est clair que , et si , alors on a . Attention, la variable aléatoire est à valeurs dans . Si , alors . Par ailleurs, partant de , on a
par les propriétés de Markov et de stationnarité. Donc . Ainsi, les membres de gauche et de droite de l’équation valent tous les deux , et l’égalité est vraie. On montrerait de même que implique , et par contraposée et décalage d’indices que implique . Plaçons nous dans ce dernier cas. On a donc
Cherchons une solution particulière sous la forme (puisque les constantes et les multiples de sont solutions de l’équation homogène) :
Ansi, est la somme d’une solution homogène et d’une solution particulière, donc En utilisant , on trouve et
Finalement, on obtient que
En particulier, si et tend vers , on obtient que . On sait que la marche partant de atteindra presque sûrement en temps fini, cependant ce temps est en moyenne infini.
De la marche aléatoire vers le mouvement brownien
On s’intéresse maintenant à une autre forme de comportement asymptotique de la marche aléatoire. Nous allons la renormaliser pour la contraindre à rester dans l’intervalle de temps . Pour cela, pour tout , on pose
Alors la suite converge en loi lorsque tend vers l’infini, et c’est également le cas lorsqu’on prend plusieurs temps .
Proposition 11 Pour tous , le vecteur converge en loi vers un vecteur tel que pour tout , est indépendant de et suit une loi normale
Preuve. On a donc les accroissements du vecteur sont indépendant. Il suffit maintenant de montrer qu’ils convergent vers la loi normale. On a par le théorème central limite appliqué à la suite .
Ce résultat permet de poser la définition suivante.
Définition 3 (Mouvement Brownien) On appelle mouvement Brownien standard, tout processus satisfaisant les trois points suivants
- ,
- , indepandant de ,
- , .
Le théorème précédent ne donne pas l’existence d’un tel processus, mais si un tel processus existe, il donne la convergence des lois marginales fini-dimensionnelles de la marche aléatoire renormalisée vers les lois marginales fini-dimensionnelles du mouvement Brownien. On admettra qu’il existe bien un mouvement Brownien. On peut montrer que la marche aléatoire converge pour la norme infinie vers le mouvement Brownien dans l’espace des variables aléatoires à valeurs dans les fonctions continues de dans . Ce résultat est connu sous le nom de théorème de Donsker. Pour simuler un mouvement Brownien, on simule en fait une marche aléatoire et on la renormalise comme ci-dessus avec assez grand.